Vulnérabilité, féminisme et santé mentale

Avec le début de cette nouvelle année de cours, c’est l’occasion pour moi de faire un petit point pédagogique sur ce que mes dernières expériences d’enseignement m’ont apprises. Le semestre dernier j’ai enseigné le cours de Culture et enjeux du numérique et trois moments m’ont particulièrement marqué.

 

La veille de la rentrée j’étais — comme d’habitude — assez stressé.

Malgré presque une dizaine d’années à enseigner (Berkeley 2014, remember), c’est toujours la même rengaine : la peur de parler en public, de se retrouver face à des inconnus et en bonus entendre la petite litanie du syndrome de l’imposteur, tout ça crée une sensation assez désagréable.

Grâce à mon petit lutin Marianne (prof de méditation de son état et bien au fait du sujet), j’ai essayé une nouvelle stratégie pour alléger le moment : parler de mes états d’âme aux étudiants.

Lors du premier cours et quasiment lors des premières phrases. Partager mon humanité. Leur dire que j’avais beau être le centre de l’attention, je n’en étais pas moins traversé par les mêmes émotions qu’ils peuvent eux-mêmes ressentir.

Ça a créé un lien très fort entre nous, et j’ai pu lire sur leurs visages une certaine surprise : ils n’ont pas l’habitude d’avoir face à eux des profs qui sortent de leur posture d’autorité.

À la fin du cours, certains m’ont remercié pour la bienveillance et l’espace d’échange, et c’était le plus beau compliment qu’on pouvait me faire.

 

Cela fait cinq ans que j’enseigne à Sciences Po et dans ce (court) laps de temps j’ai pu constater l’évolution des centres d’intérêt et de l’attrait pour certaines thématiques des étudiants. En particulier, le sujet du féminisme s’est largement démocratisé.

Et son lien avec internet est passionnant, ce qui a donné lieu à de nombreux débats dans la classe.

J’ai proposé à mes étudiants de réfléchir aux questions suivantes : en quoi internet est-il un endroit du patriarcat ? Est-ce qu’internet aurait été un espace différent s’il avait été conçu par des femmes ? Est-ce qu’on peut dire que les valeurs du patriarcat ont infusé le modèle économique du web ?

Évidemment toutes ces questions sont largement étudiées en SHS, mais il était intéressant de noter à quel point elles fascinent les étudiants (et permettent d’entrer dans la problématisation de ce qu’est “une culture numérique”).

 

Pour faire évoluer mon syllabus en fonction de l’Histoire récente (la pandémie de Covid) et de mes objets de recherche (les applications de méditation), j’ai consacré une séance cette année aux liens entre santé mentale et numérique.

D’un côté, il est fascinant de voir à quel point les étudiants sont extrêmement conscients de leurs addictions (TikTok, I see you) et aussi… très démunis.

Chez eux la peur du du FOMO est omniprésente, ils sont abreuvés de mail (un conditionnement qui commence manifestement très tôt visiblement), et le fléau des groupes WhatsApp atteint visiblement un paroxysme quand on est étudiant (ils ont une trentaine de groupes dédiés rien qu’à leur scolarité). Résultat, ils utilisent en moyenne leur smartphone 4h36 par jour. J’en profite pour vous inviter à aller checker votre score (je me traîne péniblement à 2h12).

D’un autre côté, j’étais curieux d’entendre qu’ils cultivent une certaine affection pour les outils qu’ils utilisent, et parlent facilement de leur joie d’écouter de la musique en marchant, de tracker leur progrès sportifs, d’utiliser des logiciels de travail collaboratifs.

Ils sont encore jeunes, ont envie de mieux faire et je conçois mon travail d’enseignant comme permettant un aiguillage plus juste dans la recherche d’un équilibre qui leur convient.

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